Pinocchio / Philippe Foerster
Bande dessinée
Edité par Les éditions du Tiroir | 2020
Comme le lecteur aura pu le constater, Philippe Foerster, l'auteur de Pinocchio, appartient à la lignée des créateurs de bandes dessinées que l'on peut qualifier de caricaturaux, de démesurés et d'iconoclastes. Son dessin est expressif, agressif, parodique, marqué parle goût de la violence, de la provocation, parfois même de la bouffonnerie sacrilège. Le texte, qui "colle" au langage parlé (" Qu'e k t'as encore fait ? ... "Z'avez pas l'droit ! ..." " Alors, j'ai r'pensé à c'que la grand-mère, elle m'avait raconté dans l'temps "...) reste très lisible, ce qui est une grande qualité. Les personnages qui peuplent les souvenirs de Geppetta, le cauchemar de la drôle de petite gitane, mère-façonneuse, adoptive et tendre d'un Pinocchio taillé dans une plante géante de mandragore sont, comme il se doit, vilains, menaçants et cruels. Ils crachent des insultes et veulent détruire le monstre bien-aimé, le robot de bois, le p'tiot, l'espèce de Golem qui ne connaît ni morale, ni sa force, qui étrangle par plaisir et déchaîne inévitablement la colère populaire. De toutes les scènes dramatiques et cocasses, de ce déferlement de bêtise haineuse et de cruauté aveugle, de ce désespoir impuissant et de cet implacable esprit de vengeance, se dégage cependant une étrange tendresse. C'est l'indéfinissable et impossible amour que Geppetta porte à son pantin de bois - échappé de justesse à la rage meurtrière de ses persécuteurs et flottant à la dérive sur les mers lointaines... Et la petite bonne femme, alerte et séduisante, devenue une vieille folle radoteuse s'attardant dans les bistrots, raconte, raconte, raconte... une vilaine histoire cruelle, tendre et, finalement, morale. Celle-ci ne nous apporte pas un message sur la vie et le monde, elle met seulement en scène, dans une ambiance fantastique, d'étranges marionnettes s'agitant et hurlant, se vautrant dans l'horrible, le monstrueux et le macabre, climat où Philippe Foerster s'exprime avec une brillante efficacité narrative. Thomas Owen.